Stephen Storace (1762-1796), compositeur
Stephen John Seymour Storace,
né le 4 avril 1762, est le premier enfant de Stefano Storace et d’Elizabeth
Trusler.
Enfant, il apprend le
violon et le clavecin. Son ami, le ténor Michael Kelly, dira dans ses Reminiscences, que
Nancy […] pouvait jouer et chanter à
vue aussi précocement qu’à huit ans ; elle montra un génie extraordinaire
pour la musique et Stephen, le fils, pour toutes choses ! C’était la
personne la plus douée que j’ai jamais rencontrée ! Un enthousiaste et un
génie. Mais en ce qui concerne la musique et la peinture, c’était réellement
surnaturel ! J’ai souvent entendu Mr. [Richard Brinsley] Sheridan dire que
s’il avait fait des études de droit, il serait devenu Lord Chambellan.
Entre 1773 et 1778, Stephen
est envoyé en Italie, au conservatoire San Onofrio à Naples, où son père avait
fait des études musicales, pour y étudier la composition. Sa notice
nécrologique parue dans The Oracle
(18 mars 1796) précise ironiquement qu’il pensa que « l’étude de la composition était plus respectable que de […] gratter des
boyaux de chat » !
Il n’est pas un élève
très assidu : le peintre gallois Thomas Jones qui
se liera d’amitié avec lui, témoigne dans son journal que Stephen est plus
attiré par la peinture que par la musique. Ils font de nombreuses excursions
ensemble dans les environs de Naples.
La famille Storace
est réunie pour Noël 1778. Stephen suit donc sa sœur et ses parents le long des
étapes qui vont façonner la carrière de Nancy. Lorsqu’elle est engagée comme seconda donna au Teatro alla Pergola, à
Florence, il tient le second clavecin.
Livret de Castore e Polluce de Bianchi,
mentionnant
« Al secondo Cimbalo Sig.
Stefano Storace »
(Source : Museo
internazionale e biblioteca della musica di Bologna)
En 1781, le livret d’une
cantate (perdue) de Stephen, Orfeo negli
elisi, est publié à Lucques.
A Livourne, en 1780,
le frère et la sœur se lient d’amitié avec le ténor Michael Kelly, qui relate
de façon fort amusante leur première rencontre.
Peu de temps après,
Stephen retourne en Angleterre. On ne sait quelle est la raison de son retour. Un
biographe de Nancy Storace, Geoffrey Brace, a avancé que la raison en était la
mort de Stefano Storace, mais on ne connaît pas la date de décès de ce dernier
(Thomas Jones indique qu’il est décédé en 1783 ou 1784).
The curfew tolls the knell
(sur un texte de Thomas
Gray (1716-1771))
Philip Langridge, baryton
Stephen tente de se
faire un nom à Londres et à Bath. Il publie plusieurs pièces de musique de
chambre, ainsi que des pièces vocales, comme Eight Canzonetts et A New
Recitative and Rondo (« Ah se Poro mai vedi ») en 1782. Il enseigne également la musique et est également
engagé comme instrumentiste au festival de Salisbury.
Alors que Nancy
Storace chante comme prima buffa à
Vienne, Stephen y fait plusieurs séjours. On lui commande deux opéras, Gli
sposi malcontenti (1785) et Gli equivoci (1786) qui sont créés
au Burgtheater (C’est d’ailleurs lors de la première de Gli sposi malcontenti que Nancy perd sa voix, et restera plusieurs
mois loin des scènes). C’est vraisemblablement grâce à l’influence de sa sœur
que Joseph II lui passa commande, puisqu’on n’avait entendu à Vienne qu’un air
d’insertion composé pour sa sœur.
L’influence que Mozart
eut sur la musique de Storace est évidente, et on le présente souvent comme son
élève, mais ce n’est pas attesté.
C’est cependant chez
lui (logeait-il alors chez sa sœur ?) qu’eut lieu l’un des concerts privés
les plus célèbres des années 1780 : ainsi que se souviendra le ténor
Michael Kelly,
Storace organisa pour ses amis une
séance de quatuors. Les interprètes étaient tolérables ; aucun d’eux
n’excellait sur son instrument, mais ils n’étaient pas dépourvus de science, ce
qui sera admis, je l’espère, lorsque je les aurais nommés :
Premier violon, HAYDN
Second violon, Baron DITTERSDORF
Violoncelle, VANHALL
Alto, MOZART
Le poète Casti et Paisiello étaient
dans le public. J’en étais, et un délice plus grand ou plus remarquable ne se
peut concevoir.
Lors de son dernier
séjour viennois, le 20 février 1787, Stephen fut brièvement incarcéré, à la
suite d’une altercation avinée dans la salle de bal de la Redoute. C’est
l’incident le plus documenté de sa vie.
De retour à Londres
en mars 1787, Stephen est engagé à l’opéra italien, le King’s Theatre in the
Haymarket. Il avait été préalablement chargé par Gallini, le manager, de
rapporter d’Europe des partitions italiennes d’opere buffe à succès.
Il dirige le premier
opéra dans lequel chante Nancy, Gli Schiavi
per amore, une version modifiée de Le
Gare generose de Paisiello. Stephen compose des airs d’insertion pour sa
soeur, dans les opéras italiens dans lesquels elle apparaît. L’un de ces airs,
très populaire, est même l’objet d’un procès de Stephen aux éditeurs Longman
& Broderip pour contrefaçon.
Le 4 mars 1788, c’est
la première de son seul opera buffa
créé en Angleterre, La Cameriera astuta. C’est un semi échec, le public ne
comprenant pas que la partition se moque des styles italiens et français… Il
n’en reste que le livret et des extraits publiés en version réduite,
clavier-chant.
En 1788, Stephen devient
membre de la Royal Society of Musicians. Ses activités professionnelles y sont
décrites comme « professeur de clavecin et de chant – compositeur et
éditeur de musique ».
La même année, le 23
août, il épouse Mary Hall, fille du graveur John Hall. Stephen et Mary ont un
fils, Brinsley John, qui mourra prématurément en 1807. Le couple s’établira au
coin de la rue où habitaient Nancy et sa mère. Ils eurent également une maison
de campagne à Hayes, dans le Middlesex.
The Chesnuts, bien avant sa
démolition en 1963.
(Source inconnue. Merci
à B. J. pour la photographie.)
Entre 1787 et 1789,
Stephen publie sa Storace’s Collection of Harpsichord Music. Dans cette compilation de partitions, paraissent deux morceaux inédits de Mozart, ce qui
laisse entendre qu’ils étaient restés en contact.
Sans doute déçu par
la réception de La Cameriera Astuta,
Stephen décide de partir au théâtre de Drury Lane, où il devient de facto le
compositeur du théâtre : Thomas Linley senior, malade, lui délègue ses
fonctions.
Il compose alors pour
Drury Lane toute une série d’opéras en anglais. La pièce qui lance réellement
sa carrière est The
Haunted Tower, une mainpiece
(pièce ou opéra présentée en première partie de soirée) qui met en vedette sa
sœur, venue rejoindre la troupe, à la suite de l’incendie du King’s Theatre.
Dès lors, Stephen
écrit des opéras pour Drury Lane, collaborant principalement avec les
librettistes James Cobb et Prince Hoare. La plupart de leurs afterpieces (pièces ou opéras plus
courts, présentés en seconde partie de soirée) ont été écrit pour les soirées à
bénéfices de leurs chanteurs habituels : les jeunes premiers Michael Kelly
et Anna Maria Crouch et le couple comique formé par Nancy Storace et de John« Jack » Bannister.
Utilisant la forme popularisée par Thomas
Linley, Samuel Arnold et William Shield, les opéras anglais de Stephen Storace
font alterner la musique et les dialogues parlés. Mais il glisse
progressivement vers des opéras plus complexes où la musique n’est pas
uniquement séparée de l’action. Utilisant sa formation italienne, Stephen
Storace fusionna davantage théâtre et musique, parvenant à imposer petit à
petit des finales musicaux qui font avancer l’action.
Ses opéras, comme ceux de ses contemporains,
sont des pasticcios : le
compositeur choisit et adapte des airs déjà connus (et annoncés comme tels) au
milieu de numéros nouveaux. Il est autant apprécié comme compilateur que comme compositeur.
La plupart de ses opéras anglais ne
subsistent qu’en versions réduites : le théâtre de Drury Lane où étaient
conservées les partitions, brûla en 1809 et les partitions qui circulaient dans
les théâtres de province n’ont pas été retrouvées. En effet, les opéras de
Storace, bien que faisant l’objet d’insertions diverses, furent données
régulièrement en Grande Bretagne et aux Etats-Unis jusque dans les années 1850.
Détail d’un playbill du 24 avril 1791
(Collection privée de l’auteur)
Au milieu d’une
production écrite pour mettre sa sœur en valeur, Stephen écrit deux opéras où
elle ne figure pas, Lodoiska (1794)
et un opéra sérieux en anglais, dans la veine d’Arne, Dido, Queen of
Carthage
(1792) qui est un échec cuisant. La musique en est perdue.
En 1793 et 1794, alors qu’on rebâtit le théâtre
de Drury Lane, il est co-manager de
l’Opéra italien avec Michael Kelly.
Tombé malade durant les répétitions de The Iron Chest, Stephen meurt peu de
temps après la première, le 15 mars 1796.
Il est enterré à St. Marylebone.
Nancy Storace et Michael Kelly adaptent des
partitions préexistantes au livret afin de terminer son dernier opéra inachevé,
Mahmoud ; or The Prince of Persia,
dont la première a lieu le 30 avril 1796. C’est dans cette œuvre que le jeune
ténor John Braham fait des débuts opératiques remarqués à Drury Lane. Il avait
été choisi par le compositeur, qui l’avait fait engager pour cette prise de
rôle. Braham deviendra par la suite le compagnon de Nancy.
The
Iron Chest
et Mahmoud seront publiés en 1797.
Sur le frontispice de cette édition figure le seul portrait connu de Stephen
Storace. Ayant été réalisé à partir d’une miniature pour laquelle le
compositeur n’avait pas posé, il ne serait pas du tout ressemblant !...
On connaît bien peu de choses de sa vie
privée. Ses relations avec Nancy ne sont pas réellement documentées, mais cette
dernière semble avoir défendu les œuvres de son frère avec beaucoup de
vivacité.
Son épouse Mary se remariera en novembre
1801.
A sa mort, The Oracle le décrivait ainsi :
On a parfois mal jugé son caractère – il ne possédait pas
l’art de désillusionner les gens poliment. Il disait ce qu’il pensait de
manière brute et sans détours – on pouvait se fier à son opinion pour sa valeur
et sa sincérité – il avait une capacité à prendre des décisions promptement, et
c’était parfois pris pour de la rudesse – attentif à ses propres intérêts et ne
se faisant pas dévier de sa course – il provoquait parfois des commentaires
qu’il ne méritait pas – on le connaissait comme étant un homme amical et
honnête.
Une lettre
autographe de Stephen Storace, adressée à Richard Brinsley Sheridan, le
propriétaire principal de Drury Lane est conservée à la bibliothèque de l’Université
de Yale, Beinecke Rare Book and
Manuscript Library.
Liste des opéras de Stephen Storace
En
gras, les opéras dans lesquels Nancy Storace a chanté. La date indiquée est
celle de la création.
Gli Sposi malcontenti (Vienne, 1er juin 1785)
Gli Equivoci (Vienne, 27 décembre 1786)
La Cameriera astuta (Londres, 4 mars 1788)
The Doctor and the
Apothecary (Londres, 25 octobre 1788)
The Siege of Belgrade (Londres, 1er janvier 1791)
Poor Old Drury (prélude avec de la
musique) (Londres, 22 septembre 1791)
Dido, Queen of
Carthage (Londres, 23 Mai 1792)
The Prize (Londres, 11 mars 1793)
My Grandmother (Londres, 16 décembre 1793)
Lodoiska (Londres, 9 juin 1794)
The Glorious First of June (Londres, 2 juillet 1794)
The Cherokee (Londres, 20 décembre 1794)
The Three and the
Deuce (Londres, 2 septembre 1795)
The Iron Chest (Londres,
12 mars 1796)
Mahmoud; or the Prince of Persia (Londres, 30 avril 1796)
Sources
GIRDHAM, Jane, English Opera in
Late Eighteenth Century London. Stephen Storace at Drury Lane. Oxford,
1997.
GIRDHAM, Jane, « A Note on Stephen
Storace and Michael Kelly. » dans Music
and Letters, 76, n°1 (1995), p. 64-67.
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