George Augustus Polgreen Bridgetower (v. 1780-1860), violoniste prodige et "mulâtre"
Portrait par Henry
Edridge (1769-1821)
(Source :
Wikipedia)
Le
jeune métis est sans doute né le 29 février 1780 à Biala, en Pologne.
Son
père, communément appelé John Frederick ou Friedrich de August Bridgetower
( ?-v. 1799) était un page (Kammerpage)
africain du prince Nicolas Esterhazy (1714-1790) à Eisenstadt. Admiré pour sa
beauté, son élégance et son talent de polyglotte, il se présentait comme
« Bridgtower de Bridgtower de la
barbade colonie anglaise ». Résidant dans l’aile où logeaient les
musiciens, il put ainsi se familiariser avec Haydn et son œuvre.
La
mère de George, Maria (décédée en 1817) était polonaise.
Il
était le second d’une fratrie de deux. Son frère, George, violoncelliste, était
né en 1779, apparemment en Pologne. La famille Bridgetower résidait sans doute
également à Esterhaza.
Haydn
lui aurait peut-être donné des leçons, comme l’affirme une annonce publicitaire
londonienne. Aucune trace ne semble en subsister, mais le compositeur et le
jeune homme paraissent avoir été ultérieurement liés à Londres en 1791-1792.
La
postérité a accusé son père d’avoir exploité le talent de son fils, mais il
faut rappeler que c’est grâce à son entregent, son charme et son ambition que
le jeune homme reçut une éducation musicale et artistique qui lui permit de
s’intégrer dans la bonne société anglaise, alors que l’esclavage était encore
en vigueur. (Il ne sera aboli en Angleterre qu’en 1833.)
Enfant
prodige, le jeune virtuose du violon fait sa première apparition publique à
Paris, au Concert Spirituel, le 11 avril 1789. Il joue un concerto de
Giornovichi. Il y reste jusqu’en mai, continuant deux fois encore sa
participation à ces concerts : il redonne le même coverto le 13 avril et
un de Cramer, le 17.
La
même année, il se rend en Angleterre avec son père qui, publicité bien
organisée ou goût personnel, se fait remarquer par ses vêtements
« turcs » et sa nouvelle appellation : « le prince
africain ».
Entre
1789 et 1799, George se produit dans une cinquantaine de concerts.
Ayant
échoué à se produire à Windsor devant la famille royale, il se produit à Bath
en décembre 1789 et à Bristol en janvier 1790. Pour l’un de ses concerts, la
presse locale déclare que :
Le jeune prince Africain, dont les
talents ont été tant célébrés, a donné un concert plus rempli et splendide […] que l’on ait jamais connu ici.
Il y avait plus de cinq cent personnes présentes, et elles furent ravies d’une
telle adresse au violon […] qui suscita un étonnement général, autant que du
plaisir. [Venanzio] Rauzzini était ravi et déclara qu’il n’avait jamais entendu
une telle interprétation, pas même de la part de son ami [François] LaMotte,
qui était, pensait-il, bien inférieur à ce merveilleux garçon. (The Bath Morning Post, 8 décembre 1789)
Cette
réception enthousiaste permet au jeune virtuose de se faire une place sur la
scène de concert londonienne.
Sa
première apparition publique dans la capitale a lieu durant l’un des oratorios
donnés durant le Carême, à Drury Lane, le 19 février 1790. Il y joue un
concerto entre les deux parties du Messiah de Haendel.
En
février et mars, il y apparaît six fois.
Le
lendemain de son premier concert, The
Times affirme :
Master Bridgetower, le fils du prince
africain, qui a dernièrement été prisé à Bath au violon, a joué un concerto
avec beaucoup de goût et d’habileté ; son père a écouté chaque note avec
ravissement, et a semblé hautement ravi des applaudissements réitérés qui ont
chaleureusement été décernés au jeune prince.
Sa
virtuosité lui vaut une mention même dans les comptes-rendus de presse les plus
succincts :
The European Magazine and London Review,
février 1790,
p 147.
Le
hautboïste W. T. Parke, se souvient
dans ses mémoires que :
Peu
de temps après, George Bridgetower est invité par le grand violoniste allemand
Wilhelm Cramer (1746-1799) à participer aux concerts à souscription des Professional
Concerts.
Ces
concerts, très bien reçus, lui ont sans doute attiré le patronage du Prince de
Galles. Ce dernier, excellent musicien amateur aurait souvent invité le jeune
garçon à jouer chez lui, en compagnie des meilleurs instrumentistes de l’époque.
A moins que Nancy
Storace, qui était distribuée dans ce même concert n’ait aussi attiré
l’attention de l’héritier du trône sur le jeune prodige…
Cela
achève de « lancer » George Polgreen dans la haute société.
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Le
2 juin suivant, aux Hanover Square Rooms, il donne un concert à bénéfice avec
un jeune violoniste viennois, pour lequel Beethoven écrira son concerto pour
violon, Franz Clement (1780-1842).
Le programme de ce concert, patronné par le prince de Galles, est :
Acte I. Symphonie ; Haydn –
Quatuor pour deux violons, alto et violoncelle par Masters Clément,
Bridgetower, Ware et Attwood ; Pleyel – air, Signora Bianchi. – concerto
pour violon, Master Clément, âgé seulement de huit ans et demi ; sa propre
composition – air, Signora Storace.
Acte II. Ouverture ; composée par
Master Clement – Air, Signora Storace. – Concerto pour violon, Master
Bridgetower ; Giornovichi . – Air, Signora Bianchi. – [Symphonie]
concertante pour deux violons par Master Bridgetower et Master Clement ;
[Jean-Baptiste] Davaux. – Morceau.
L’abbé
George Vogler (1749-1814) était dans le public.
Les
deux jeunes violonistes devinrent amis.
Les
relations entre le père et le fils semblent s’être distendues à cette
période : les excès de son père (alcool et liaisons diverses) défrayent la
chronique, comme ses dettes et ses emprunts financiers. Son comportement
violent pousse George Polgreen à trouver refuge chez le prince de Galles à
Carlton House.
Désormais
placé sous la protection princière, le jeune Bridgetower prend des leçons avec le
violoniste François Hippolyte Barthélémon (1741-1808), ainsi que (peut-être
Giovanni Giornovichi. Thomas Attwood (1765-1838), l’ancien élève de Mozart,
l’instruit dans l’art de la composition.
George
continue de se produire en public, mais il est désormais associé aux meilleurs
instrumentistes de son temps.
Le
15 avril 1791, le jeune garçon se produit durant l’un des concerts organisés
par Salomon pour Haydn. Il est également présent dans l’orchestre pour les
concerts du Handel Commemoration à l’abbaye de Westminster.
L’année
suivante, il est engagé dans plusieurs oratorios au King’s Theatre, et le 28
mai, il joue un concerto de Viotti dans un concert donné par Barthélémon dans
lequel Haydn est aussi présent.
La
protection du prince de Galles lui vaut de trouver place dans son orchestre
privé dans son pavillon de Brighton, sa célèbre villégiature.
Aquarelle non signée (vers 1800)
(Source : Wikipedia)
En
1802, George retourne en Allemagne pour rendre visite à sa mère qui vit à
Dresde. Il donne des concerts qui sont si bien reçus que le prince l’autorise à
prolonger son séjour continental.
Le
jeune homme se rend donc à Vienne. Le prince Lichnowsky auquel il a été
présenté, lui fait connaître Beethoven, dont il devient proche. Le compositeur lui dédie ce qui
deviendra la sonate à Kreutzer. L’œuvre a été créée lors d’un concert donné à
l’Augarten, le 24 mai 1803 et accueillie avec ferveur : Beethoven lui-même
tenait la partie de piano.
Une
copie ayant appartenu au violoniste montre qu’il avait introduit une altération
qui aurait grandement plu à Beethoven. Cette sonate aurait en fait dû être
dédiée au violoniste, car sur la partition autographe le compositeur a
noté : « ‘Sonata mulattica
composta per il mulatto Brischdauer, gran pazzo e' compositore mulattico ».
Toutefois une brouille entre le violoniste et le compositeur advient avant son
départ de Vienne, et la sonate sera dédiée au violoniste français Rodolphe
Kreutzer.
De
retour à Londres en 1805, Bridgetower continue de se produire en concert. Il est
élu à la Royal Society of Musicians en octobre 1807, et est diplôme de
Cambridge en 1811.
Il
gagne alors sa vie comme professeur de piano. Marié en 1809, ses allées et
venues deviennent plus difficiles à suivre. On sait qu’il s’est rendu à Paris
et Rome, est revenu en Angleterre en 1843 et 1846, avant de s’y fixer
définitivement.
Son
portrait par Henry Edridge (1769-1821)
laisse transparaitre la mélancolie qui l’affectait, selon ses contemporains,
lesquels le décrivent aussi comme malheureux de son sort.
Il
meurt le 29 février 1860 à Londres, et est enterré dans le Kensal Green
Cemetery.
Pour aller plus loin :
W. B. Squire, « Bridgetower, George Augustus Polgreen
(1780–1860) », rev. David J. Golby, dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press,
2004; online edn.
Josephine R.
B. Wright, « George Polgreen
Bridgetower: An African Prodigy in England 1789-99 », dans The Musical Quarterly, Vol. 66, No. 1
(Jan. 1980), p. 65-82.
Un superbe
roman retraçant son parcours vient de sortir chez Actes Sud : Emmanuel Dongala, La Sonate à Bridgetower (Sonata mulattica)
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