2018 – ‘The Steamer I’ de Johann Larsen mène Nancy Storace en bateau…
Nancy Storace deviendrait-elle un personnage indispensable à toute fiction
mozartienne ?
Récemment
publié chez Librinova et disponible
sur Kindle Publishing, The Steamer I,
roman de Johann Larsen, combine traversées transatlantiques et
musique, ainsi que l’annonce la quatrième de couverture.
Alexandre
est normand, il a douze ans lorsqu’il visite, en 1900, au Havre, un paquebot et
il perçoit ce jour-là, que son avenir se fera sur les Liners. Son parcours va
vous emmener à travers la première guerre mondiale vers Paris, Londres et
New-York. Laissez-vous porter dans la suite de ses pas, au gré de ses
rencontres par un homme qui sait être à la fois, à l’écoute des autres et des
coïncidences de la vie. Vivez avec lui, sa passion de la musique, à ses côtés,
pénétrez cette époque si difficile et un peu folle, des suites de la Grande
guerre.
Sans l’avoir lu dans son intégralité, mais pour en avoir parcouru les
passages permis par l’aperçu de Google Livres, il semblerait que ce roman permette
aussi un feuilletage de diverses œuvres de Mozart, en les présentant sous un prétexte
romanesque. Belle initiative pour faire mieux connaître l’œuvre du maître de
Salzbourg… mais entachée d’erreurs multiples.
Pourquoi
parler ici de cet ouvrage ? C’est que le passage relatif à Nancy Storace
allie « vieilles lunes » (sa supposée liaison avec Mozart, et le
regret éternel que celui-ci en eut) et nouveauté : c’est désormais à Prague que le scandale se déroule !!!
Ainsi
que le précise le narrateur,
« Voilà, conclut Alexandre, pour toutes ces
diverses raisons, je suis persuadé que Mozart n'a vécu les dernières années de
sa vie que dans l'espoir de retrouver Nancy Storace, sa muse qui l'a toujours
inspiré. Qu'en pensez-vous ? »
Le
développement entier fait allusion à de précédentes assertions bien fantaisistes :
Mozart aurait été « inspiré » par Storace ou son souvenir pour composer
les concertos pour clavier n°22 et n°27, le concerto pour clarinette, ou encore…
le rôle de Pamina !!!!
Précisons
également, à l’inverse de ce qui est avancé, que Mozart ne destina pas de
variantes du rôle de Susanna pour la reprise viennoise de 1789 à Aloysia Lange, sa belle-sœur et ancien
premier grand amour… C’est la Ferrarese
del Bene qui reprit le rôle et pour lequel il tailla sur mesure deux airs d’insertion :
« Un moto di gioia » (KV.
579) et « Al desio di chi t’adora »
(KV. 577).
Qualifiée
de « Nancy Ann » (au lieu
d’Ann Selina, dont le surnom a été « Nancy » pour certains de ses
contemporains), la biographie de la cantatrice, telle qu’énoncée par Alexandre,
est assez approximative. Examinons-la plus en détails.
Une étonnante rencontre entre Mozart et Nancy Storace
Le premier contact entre Storace et Mozart donne lieu à une étrange assertion :
(copie
d’écran Google Livres)
Si
cette rencontre est totalement fictive, la date du 2 juillet 1785 n’a sans
doute pas été choisie par hasard.
Le 2 juillet 1783, Mozart écrivit à son
père une des lettres où il mentionne la cantatrice… en relatant les difficultés
qu’elle cause à sa belle-sœur Aloysia Lange (née Weber), en tant que rivale
dans la troupe !
Cependant,
en juillet 1785, l’on sait, grâce à un folliculaire resté anonyme de la Correspondance politique et anecdotique…,
que « La Signora Storacci est à la
campagne où elle rétablit lentement sa voix délabrée. » Cette nodule
était datée du 6 juillet…
On
retrouve donc là la légende des manuscrits jamais raturés par Mozart (C’est une
inspiration divine, je vous dis !) et le fameux billard. Objet de luxe,
comme l’était d’ailleurs le pianoforte Walter de Mozart, c’était apparemment l’une
des possessions les plus coûteuses du compositeur. Indication du goût qu’avait
Mozart pour ce jeu, c’est aussi un signe de richesse et de convivialité :
de par sa profession, Mozart reçoit beaucoup.
Mari violent et cantate thérapeutique
[…] mais [Fischer] était
un homme très violent et elle en perdit sa voix. L’Empereur […] bannit le
musicien […]. Mozart avec Salieri et Cornetti, lui écrivirent fin 1785, un
Aria, le K.477a, qui permit à la cantatrice de retrouver sa voix.
En
réalité, la cantate Per la ricuperata salute di Ofelia, récemment
retrouvée par le musicologue Timo Jouko
Hermann, a été écrite pour célébrer le retour de la cantatrice qui avait
effectivement eu de très gros problèmes vocaux en 1785, suite à ses difficultés
privées (mari violent, mort de sa fille). (Pour en savoir plus, voir ICI.)
(Quasi) scandale à Prague !
La
décision était prise fin 1786 de partir pour l’Angleterre, mais auparavant,
Mozart fut invité par la ville de PRAGUE où les Noces de Figaro étaient
reprises avec Nancy Storace toujours dans le rôle principal de Suzanne. […]
Totalement faux. Si l’on ne connaît pas avec certitude
la distribution de ces Nozze di Figaro praguoises, elle a fait l’objet d’une reconstitution
par le musicologue Ian
Woodfield dans son ouvrage, Performing
Operas for Mozart. Impresarios, Singers and Troupes. (Cambridge University
Press, 2012.) La troupe Bondini-Guardasoni, tout juste revenue d’une saison d’été
à Leipzig, se produisait à Prague pour une saison d’hiver, renforcée par
quelques chanteurs venus de Dresde. On en connaît la liste, bien que certains
rôles ne soient connus que par recoupements avec les affiches de Leipzig et les
comptes rendus critiques publiés par la presse : Figaro était chanté par
Felice Ponziani (seul rôle que l’on peut attribuer avec certitude) et Caterina Bondini interprétait très probablement
Susanna (elle est louée pour l’un des rôles comiques dans la presse) ;
elle créera le rôle de Zerlina dans Don Giovanni.
[…]
Et c'est alors
qu'une bonne âme fit connaître à son épouse, Constanze, la grande proximité de
Mozart avec Nancy. Constanze était bien décidée à faire éclater un scandale que
Wolfgang ne pouvait accepter à Prague.
Il s'engagea donc à la séparation d'avec Nancy Storace
après la dernière représentation des Noces qui eut lieu le 27 janvier, Mozart
avait 31 ans ce jour-là, et au retour à VIENNE, un concert d'Adieu fut donné pour
Nancy Storace où elle chanta le K.505 [...]. C'était est un grand chant
d'amour, avec un dialogue au piano magnifique avec la grande cantatrice.
On
tombe désormais dans le roman pur et dur. Il faut convenir que la réputation
posthume de la pauvre Constanze a bien du mal à se débarrasser de l’image de
virago jalouse que la série Mozart,
réalisée par Marcel Bluwal, lui a accolée ! De plus, Constanze Mozart
aurait eu du mal à faire éclater un scandale à Prague au sujet de la Storace…
où cette dernière ne se trouvait pas !!!…
On
sait que le 21 janvier 1787, Ann Selina Storace soupait avec son amant, Lord
Barnard, puis ils allèrent danser jusqu’à 4 heures du matin à la Redoute
(Redoutensaal). C’est d’ailleurs ce dernier qui le précise dans son journal. La
cantatrice continuait ses représentations au Burghteater. Le 22 janvier, elle chantait
Fra i due litiganti de Sarti, et le
29, Il burbero di buon core de Martin
y Soler.
On
peut d’ailleurs se demander pourquoi Mozart aurait davantage craint un scandale
à Prague qu’à Vienne…
Bref,
ce roman qui exprime une volonté louable de vulgarisation savante, brasse des
informations erronées sur la cantatrice (la liste indiquée ici est incomplète),
et ne fait que renforcer l’image d’une liaison improuvable et ici encore,
fondée sur des postulats fallacieux. Dommage.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci de votre message. Il sera mis en ligne après modération....