‘No Song, No Supper’, opéra de Stephen Storace (1790)
Le
16 avril 1790, le ténor Michael Kelly
utilise son droit à sa soirée à bénéfice au Theatre Royal de Drury Lane. (Une
représentation à bénéfice est une représentation dont le produit est abandonné
par le théâtre à un comédien, à un auteur, etc. Le bénéficiaire organise
entièrement la représentation, le programme, vends lui-même les billets et
s’occupe de la publicité. Le théâtre déduit généralement de la recette les frais
d’occupation du lieu. Certains interprètes se rendent réciproquement service en
jouant gratis pour leurs collègues.)
En
seconde partie de soirée, l’afterpiece
qu’il a choisie est une création, bien qu’elle n’ait pas été composée pour
l’occasion. Il s’agit d’une œuvre qui aura une longévité remarquable, et qui
fera les beaux soirs de Drury Lane jusque vers 1810.
No Song, No Supper
(Pas de chanson, pas de souper) sera reprise chaque année à Drury Lane et
formera un des piliers du répertoire de Nancy
Storace, dont l’incarnation de Margaretta marquera les esprits.
Le
librettiste est Prince Hoare, que
les Storace avaient rencontré à Florence en 1779. Abandonnant la peinture à
cause d’une santé fragile, il s’est consacré à une activité de dramaturge dès
1788.
C’est
la première collaboration des deux amis : ils travailleront souvent
ensemble, jusqu’à la mort de Stephen en 1796. Prince Hoare rédigera d’ailleurs les
épitaphes de Stephen et Nancy (la plaque apposée dans l’église de St. Mary at
Lambeth est toujours visible).
Annonce de
presse pour la représentation du 26 avril 1790,
(Détail d’un
recueil factice d’articles divers.
Synopsis de l’opéra
Deux marins, Frederick et
Robin, font naufrage près de chez eux. Ils espèrent pouvoir revoir leurs
amantes, Louisa Crop et Margaretta, et se rendent chez le fermier Crop, père de
Louisa. Dorothy, la seconde épouse du fermier, est éprise de l’homme de loi véreux
Endless, qui a déjà contribué à séparer les amants. En l’absence de son mari,
elle lui prépare un souper, consistant en un rôti et un gâteau, ce dont
Margaretta (qui passe pour une chanteuse des rues) est témoin. Alors qu’Endless
s’apprête à manger, Crop frappe à la porte. Endless se cache, et le souper est
dissimulé. Margaretta chante une ballade, dont le premier couplet révèle la
cachette du rôti, le second, celle du gâteau, et le troisième, la cachette
d’Endless. Il est chassé et le couple de fermiers se réconcilie. Robin et
Frederick, devenus riches grâce à un tonneau d’or sauvé du naufrage, peuvent
désormais se marier, et annoncent la bonne nouvelle. (d’après
Jane Girdham (1997), p. 178)
On
trouvera le livret de 1792, imprimé à Dublin sur Google
Books.
Pour lire la suite, cliquez en dessous
La distribution de la création était la suivante :
Frederick (Kelly)
Endless (Suett)
Crop (Dignum),
Thomas (Alfred)
William (Sedgwick)
Margaretta (Signora Storace)
Louisa (Mrs Crouch)
Dorothy (Miss Romanzini)
Nelly (Miss Hagley)
Deborah (Mrs Booth)
Playbill de
1795
La partition
Comme
c’était l’usage, Stephen Storace réutilisa et compila des morceaux d’origine
diverses dans sa partition. Il s’agit d’un pasticcio,
comme la plupart des ballad operas
donnés dans les théâtres de Covent Garden et Drury Lane. La pratique n’avait
rien d’exceptionnel, et les emprunts étaient répertoriés et annoncés comme
tels, autant sur les affiches que dans les comptes-rendus de presse.
L’affiche
(playbill) des premières
représentations annonçait que « la musique [était] compilée de Pleyel, Dr
Harrington, Giordani, Gluck, &c »
Storace
va également puiser dans l’un de ses propres opéras italiens composés pour le
Burghtheater de Vienne. On retrouve ainsi des extraits de Gli Equivoci dans cette
partition de 1790, dont un air, également employé dans La cameriera astuta,
« Ah perche di quel ingrato ».
L’un
des airs chantés par Nancy Storace, « With
lowly suit and plaintive ditty », qui eut beaucoup de succès et fit
même les délices des salons victoriens, s’inspirait d’une mélodie chantée par
un mendiant aveugle, selon la rumeur de l’époque.
Ainsi
que le précise Roger Fiske, « dans cette afterpiece, [Storace] s’est plié aux exigences du style anglais, en
écrivant plus d’airs courts strophiques dans le style de la ballade qu’il ne le
fit dans d’autres ouvrages ». C’est probablement l’une des raisons du
succès durable d’une partition qui pouvait être interprétée tant par des
comédiens chanteurs que par de véritables chanteurs d’opéra.
Texte de l’air
With lowly suit, and plaintive ditty
La
partition réduite est consultable
sur le site d’archive.org
Postérité de l’ouvrage
C’est
une des rares partitions anglaises de Stephen Storace dont nous possédons une
version complètement orchestrée, bien que cette partition soit sans doute une
adaptation pour le Little Theatre in the Haymarket. Elle ne reflèterait donc pas
forcément le talent de Storace comme orchestrateur.
Cet
opéra a été diffusé par la BBC en 1996 :
Harry Bickett dirigeait le BBC Scottish
Orchestra. Les dialogues avaient été remplacés par un narrateur résumant
l’action.
Il
n’existe à ce jour aucune version commerciale de cet opéra, mais on peut entendre via ce blog:
- Air
de Margaretta : « A Miser bid to have and hold me »
- Trio Nelly, Dorothy & Margaretta :
« Knocking at this hour of day… »
Bibliographie
Jane Girdham, English
Opera in Late Eighteenth Century London. Stephen Storace at Drury Lane.
Oxford, Clarendon Press, 1997.
Roger Fiske, « The Operas of Stephen Storace » dans Proceedings of the Royal Musical Association, (1959-1960), p.
29-44.
No Song, No Supper fait l’objet des pages 188 et 189
de la biographie de Nancy Storace,
par Emmanuelle Pesqué.
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