Nancy Storace dans “Le Messie” de Haendel (Oxford, 1805)



Comme l’annonçait la presse en avril,

La Signora STORACE, Mr. BRAHAM, Mr CRAMER, Mr GRIESBATH, les LEANDER, et d’autres éminents interprètes sont déjà engagés pour le festival de musique au théâtre d’Oxford qui se tiendra les 25, 26 et 27 juin prochain – l’orchestre sera formé de plus de cent instrumentistes.

En juin, la presse renchérit avec une annonce plus détaillée :

THEATRE, OXFORD
GRAND FESTIVAL DE MUSIQUE
Mardi 25 juin 1805, l’Oratorio Sacré du Messie. Mercredi 26 et Jeudi 27, deux grands concerts variés.
Principaux chanteurs, Signora Storace, Mrs. Ashe, Madame Bianchi, Mr. Braham, Mr Knyvett, and Mr. Welsh. Mr. Bartleman ayant un engagement antérieur pour les deux premières soirées, est engagé pour le 27. Direction de l’orchestre, Mr. Cramer. – Violons, Messrs. Moralt, Marshall, Manon, Slezach, Holmes, Evans, Hardy, Jung, Sykes, &c.
Altos, Messrs. K Marshall, Woodcock Fester, &c. Violoncelles, Messrs. Reinagle, Haldon, &c. Contrebasses, Messrs. Boyce, Hale, Vicary, Dresler, Crosier.Flûtes, Mr. Lesson, &c. Cors, Messrs Leander. Haubois, Messrs Griesbach, Spellsberger. Clarinettes, Messrs Haldon. Bassons, Messrs Holmes et Feldon. Trompettes, Messrs. Hyde et Drover. Trombones, Messrs Dresler, Flack, Zimmerman. Serpent, Mr Harton. […] Le reste de l’orchestre sera nombreux, sélectionné à partir des chœurs de Worcester, Gloucester, Windsor, &c. Le tout sous la direction du Dr Crotch.
***Le concert débute à Cinq heures. ***


























Le programme de la soirée permet de connaître exactement la répartition des airs :


Libretto The Messiah Oxford 1805 (c) Bodleian Library / Google Books


Nancy Storace singing in Handel's The Messiah, Oxford 1805
Programme de The Messiah
(Bodleian Library, Oxford (Google Livres))


 Pour lire la suite, cliquer en dessous




Toutefois, le compositeur John Marsh (1752-1828), qui assiste au festival, note dans son journal :
En cette soirée, on donna le Messie, mais comme les billets pour tous les concerts étaient de ½ guinée chacun, nous avons trouvé commode d’économiser & donc nous nous sommes contentés d’aller aux deux concerts restant. Nous avons été d’autant plus poussé à laisser tomber le Messie car nous n’avions pas une si bonne opinion que cela de l’excellence de Braham dans ces Airs, & de penser que Bartleman dans les Airs de Basse nous manquerait, puisqu’il ne devait venir que pour le dernier concert. Si cela avait été donné avec les accompagnements additionnels de Mozart, j’aurais sans doute été poussé à y aller, par curiosité.


John Marsh fait évidemment allusion à la réorchestration de Mozart (KV 572), réalisée en mars 1789 à la demande du baron Gottfried von Swieten, après avoir réinstrumentalisé. Acis et Galathée ; plus interventionniste, il introduisit des vents dans l’orchestre, abrégea certains airs et les remplaça par des récitatifs. Mozart avait entendu cet oratorio à Londres et à Mannheim en 1777.

Gottfried van Swieten aurait écrit à Mozart le 21 mars 1789 à ce sujet :

Votre idée de transposer le texte de cet air réfrigérant [« If God be for us »] en un récitatif est excellente, et dans l’ignorance où je suis de savoir si vous en avez conservé les paroles, je vous les adresse ci-incluses. Celui qui est en mesure d’habiller Haendel avec tant de solennité et tant de goût, de sorte qu’il en arrive, d’une part à plaire aussi aux esclaves de la mode et que, de l’autre, il se montre toujours malgré tout dans sa noblesse première, celui-là, est parvenu jusqu’à la source de ce qui fait son expression, et pourra, et sera en mesure d’en faire une création propre. – Voilà comment je vois le résultat auquel vous êtes parvenu, et maintenant, il ne me faut plus parler de confiance, mais seulement du désir de recevoir promptement ledit récitatif. (Traduction de Jean et Brigitte Massin, Mozart, Paris, 1970, p. 490)

Citée par Niemetschek, cette lettre est désormais considérée comme douteuse (O. E Deutsch, Mozart, A Documentary Biography, p. 337-338)

Breitkopf & Härtel publia la partition de la version mozartienne en 1803.

La première exécution londonienne de cette version du Messie avait été donnée le 29 mars 1805, lors des oratorios de Covent Garden, sous la direction d’Ashley. Le compagnon de Nancy Storace, le ténor John Braham y avait pris part. Malgré la célébrité de Mozart, les critiques avaient été mitigées, puisqu’on acceptait difficilement de voir réviser une œuvre iconique du répertoire musical britannique.

Que Crotch n'ait pas choisi de diriger la version mozartienne s'explique par sa formation musicale.

Le directeur musical du concert d’Oxford, William Crotch (1775-1847) était un ancien enfant prodige, comme Mozart. Mozart avait fait l’objet d’une communication de Daines Barrington (1769) ; de même, le Dr Charles Burney discourut sur Crotch en 1779, en le comparant à son aîné, soulignant les différences entre leurs éducations musicales. Malheureusement pour Crotch, son talent ne fut pas nourri par une éducation musicale appropriée : d’origine très modeste, ses parents avaient uniquement profité de la curiosité qu’il suscitait, sans lui donner l’opportunité de le faire fructifier.

Il fut pourtant aidé par des mécènes qui lui permirent d’avoir accès aux partitions de Haendel, et aux conseils de John Randall (1717-1799), organiste de la chapelle du King's College (Cambridge) qui avait été choriste dans Esther de Haendel en 1732, sous la direction du compositeur. Il lui aurait transmis les tempi du maître.


William Crotch playing the organ, 1779 (Wikipedia Commons) Print from The London Magazine, April 1779

William Crotch, à trois ans et demi
(The London Magazine, avril 1779)
Source : Wikipedia

En 1790, Crotch fut nommé organiste de Christ Church à Oxford. En 1797, à 21 ans, il fut nommé professeur de musique à l’Université d’Oxford.

Ayant été en contact avec le courant d’amateurs de « musique ancienne », Crotch continua de mettre en valeur ces idéaux et fit de nombreuses conférences, agrémentées d’extraits musicaux. Entre 1800 et 1805, elles devinrent annuelles, destinée à des amateurs dont il espérait forger le goût musical. Avec ces conférences, Crotch devint l’un de ceux qui contribuèrent à modeler l’opinion. En 1823, il deviendra Principal à la Royal Academy of Music ; il y enseignera l’harmonie, le contrepoint et la composition.

Pour autant, il n’ignorait pas la musique de son temps : familier des œuvres de Haydn, il joua pour ce dernier quand il vint à Oxford pour y recevoir son doctorat en 1791.

Devenu d’une certaine manière le représentant des amateurs de « musique ancienne », en 1804, Crotch avait emprunté la partition de Mozart et avait par la suite fait connaître son peu d’appréciation pour cette réorchestration. Relativement peu sensible à la musique de Mozart, il n’aimait guère dans son Requiem que le « Benedictus qui venit », qui n’est vraisemblablement pas de la main du Salzbourgeois…

Commentaires

  1. Merci pour ce document très intéressant.
    C'est donc bien la version du Messie orchestrée par Mozart qui a été utilisée dans ce concert de 1805 où Nancy Storage est intervenue.
    Dans la liste des instruments prévus, j'ai noté la présence d'un serpent, instrument archaïque, assurant la basse là où le cornet à bouquin est employé dans la musique du début du 17ème siècle. Berlioz l'a utilisé dans la symphonie fantastique je crois. Mais je ne vois pas ce qu'il fait là vu que Mozart, à ma connaissance, ne l'a pas prévu dans son manuscrit.

    Cette version du Messie ne semblait pas plaire à tout le monde. Il est vrai que dans certains airs comme: The people that walked in darkness.., Mozart a eu la main lourde en introduisant plein de chromatismes dans ses parties de clarinettes, bassons ajoutées pour la circonstance. Ainsi habillé cet air est vraiment génial!

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    1. En fait, Croft n'a pas choisi de donner la version mozartienne, comme le précise bien John Marsh.... En général, la presse fait bien la distinction entre les deux versions, dès qu'on commence à donner celle réorchestrée par Mozart. Ils ont d'ailleurs dût retraduire tout le texte, étant donné que les programmes donnent le texte en anglais.

      Oui, Mozart a parfois eu la main lourde ! Personnellement, je trouve que certains de ses nouveaux récitatifs ne s'imposaient pas...

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  2. Merci pour cette précision. Mais alors je ne comprends plus car l'affiche publiée plus haut pour le concert dirigé par le Dr Crotch fait état d'un orchestre comportant deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, deux cors, deux trompettes, trois trombones qui (serpent mis à part) est précisément celui que Mozart emploie dans se réorchestration.

    Incidemment je suis amusé par l'opinion de Crotch sur le Requiem comme vous le relatez. Non seulement c'est pas du Mozart, mais c'est, selon certains, la partie la plus faible de l'oeuvre, à tel point que le musicologue Robert Levin que vous m'avez fait découvrir, l'a entièrement recomposé.

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  3. Je n'ai pas plus de précisions sur la partition utilisée que le détail des instrumentistes comme indiqué dans l'annonce publicitaire alors parue dans la presse...
    Etant donné que le "programme de salle" et l'annonce ne précisent pas qu'il s'agit de la version mozartienne, et que John Mars, bien informé puisque sur place, regrette qu'elle ne soit pas donnée, il faut bien admettre que ce n'est pas cette dernière qu'on a entendue à Oxford... De plus, les opinions du Dr Croft sont assez bien connues : Rachel Cowgill, qui a consacré sa thèse sur la fortune artistique de Mozart en Angleterre, y consacre un long développement.
    Alors, en attendant d'autres éclaircissements, c'est "mystère et boule de gomme", en ce qui me concerne...
    (Ceci dit, je vais repointer une autre source, histoire d'en avoir le cœur net !)

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