Nancy Storace et le Mouron Rouge (1792, 1905 et 1934)
1792. La Terreur bat son plein. Depuis
l'Angleterre, un mystérieux héros, sous le sobriquet du Mouron Rouge, aide des
condamnés à la guillotine à échapper à leur sort. En Angleterre toujours,
Marguerite Saint-Just, lointaine cousine du tribun révolutionnaire, a épousé
Lord Percy Blakeney, dandy à la mode et compagnon du Régent. Le couple ne vit
pas en harmonie : Marguerite méprise la frivolité affichée de son mari, ce
dernier tient en horreur une dénonciation de sa femme qui eut pour conséquence
la mort sur l'échafaud de la famille du Marquis de Saint-Cyr... Le frère de
Marguerite, Armand est en danger de mort : membre de l'organisation du Mouron
Rouge, son salut ne tient qu'à l'intervention de Marguerite. Chauvelin, émissaire
du gouvernement révolutionnaire, la fait chanter : si elle l'aide à découvrir
qui est le Mouron Rouge, il sauvera son frère de la guillotine. Or, l'attitude
de Sir Percy n'est qu'une façade : il est le Mouron Rouge.
Sur ce canevas, la Baronne Orczy écrivit une pièce de
théâtre, qui eut un immense succès en 1905. Elle remania le matériau pour en
faire un roman, qui obtint un succès non moins grand...
Ce roman, Le Mouron Rouge (The
Scarlet Pimpernel), fut suivi de variations sur le thème et même de prequels,
dans lesquelles on pouvait lire l'héroïque conduite de l’ancêtre du héros à
l'époque de Cromwell... et celle de son descendant, Peter, durant la seconde
guerre mondiale (Pimpernel
and Rosemary). (Les neuf romans traduits en français sont disponibles en
Omnibus chez Presses de la Cité). Les anglophones peuvent lire l'intégralité du
cycle, tombé dans le domaine public.)
Il a donné également lieu à de
nombreuses adaptations au petit et au grand écran, le film produit par Alexander Korda avec Leslie Howard et Merle Oberon
en 1934, restant la plus séduisante.
Un roman d’aventure palpitant, mais empli de préjugés
Il n'en demeure pas moins que Sir
Percy est l'émanation des préjugés de son auteur (et de ceux de la fin du
XVIIIe siècle) : il a beau faire partie de l'entourage du futur Régent, il n'en
éprouve pas pour autant la fascination politique d'un Fox ou d'un Sheridan !)
Le peuple français n'est qu'une populace, les héros sont presque tous de
« sang bleu », ou apparentés par leur noblesse naturelle à
l'aristocratie, qui ne peut exister dans cette vision que par la filiation. Si
Marguerite, ancienne actrice,
s'anoblit, c'est en partie grâce à l'amour et au pardon que lui accorde son
mari, et tous les révolutionnaires modérés (qu'ils soient d'origine plébéienne
ou bourgeoise) trouvent une sorte de rédemption par l'amour que leur retourne
une jeune aristocrate. On est donc en plein dans une apologie de la réaction…
Le sentiment anti-français joue également à plein : malgré la
francophilie des élites anglaises (la Paix d'Amiens vit un déferlement de fashionables
à Paris, en quête des dernières modes !!), ce n'est rien d'autre qu'un nouvel
épisode du conflit anglo-français centenaire. On oppose ainsi souvent le flegme
britannique et ses avatars humoristiques et l'esprit de sérieux (épouvantable)
des français.
Parmi ces préjugés, l’un des plus
répugnants, reste l’un des éléments marquants de la fin du film a
volontairement été ôté. Sir Percy est en effet déguisé en « juif crasseux » quand il sauve
Marguerite, abandonnée sur la côte française à la merci de Chauvelin. Cette
transformation donne lieu à des remarques qui fleurent bon un antisémitisme (hélas) banalisé à
l’époque de la rédaction du roman… tout comme l’ambiguïté méprisante dans
laquelle la bonne société du XVIIIe siècle anglaise cantonnait la communauté
juive.
Au contraire, dans le film superbe qu’en
a tiré Korda en 1934, Blakeney mentionne « Mendoza » avec
admiration : Daniel Mendoza, le
boxeur qui révolutionna ce sport était juif. Est-ce une manière élégante de
blâmer la source littéraire ou une simple référence sociologique qui tend à
« faire époque » ? On espère que la première raison explique ce
changement…
Notons que Mendoza est également
mentionné dans un song qui fit
scandale en 1802. En effet, l’opéra Family Quarrels (Querelles de famille),
créé le 18 décembre 1802 par Nancy
Storace et John
Braham, comportait un air chanté par le comédien et chanteur Fawcett (le
personnage est déguisé en mendiant juif et évoque sa cour mouvementée à deux
beautés), qui provoqua des réactions très vives du public d’origine juive
présent au Théâtre de Covent Garden…
Nancy Storace, personnage du roman, mais non de l’adaptation au cinéma
Si toute la première partie du roman
trouve un équivalent fidèle à l'écran en 1934, les scènes d'aventure pure en
France sont assez rapidement expédiées, se bornant à l'affrontement
Chauvelin-Mouron Rouge dans l'auberge du Lion d’Or.
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En ce cas, il est fort dommage que
l’entrevue cruciale entre Marguerite et Chauvelin ne se passe pas, comme dans
le roman, dans la salle d’opéra de Covent Garden… Si toutes les références
ayant trait au monde musical sont totalement erronées, la cantatrice qui chante
Orphée en
travesti (une aberration, la version Berlioz n’ayant pas encore vu le jour…)
n’est autre que Nancy Storace,
la soprano qui créa les Nozze di Figaro
de Mozart en 1786…
La pièce de Beaumarchais sur laquelle
cet opéra est fondé ayant la réputation d’avoir « annoncé » la
Révolution Française, la mise en abyme était savoureuse…
Et puisqu’on parle de Mozart,
remarquons tout de même que pour le bal chez Lord Grenville, durant le film de
1934, on entend un extrait de la Petite Musique de
Nuit, ce qui est un bel anachronisme : si la sérénade KV. 525 date de
1787, elle ne fut diffusée qu’au début XIXe…
Le film est désormais dans le domaine
public anglo-saxon et peut être visionné en intégralité sur archive.org
(sans sous-titrage) ou sur YouTube
(avec sous-titrage anglais) pour le Described and Captioned Media Program.
De nombreuses éditions DVD, de qualité
variée.
Avec
Leslie Howard (génial), Merle Oberon (ravissante) et Raymond Massey
(inquiétant).
Réalisé par Harold Young.
Scénario : Lajos Biron et S. N.
Behrman d'après le roman de la Baronne Orczy.
Produit par Alexander Korda.
Image d'Harold Rosson.
Durée : 97 minutes
Cette apparition fictionnelle de Nancy
Storace est approfondie page 377
et
le scandale de Family Quarrels en 1802 est expliqué pages 271-272
de la biographie de Nancy Storace,
Nancy Storace, muse de Mozart et de Haydn,
par Emmanuelle Pesqué.
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