Michael Kelly (1762-1826), ami et collègue de Nancy Storace
Portrait de Michael Kelly
par Adele Romany
(vers 1802-1814)
(Collections du Garrick Club)
Né à Dublin le 25 décembre 1762 (ou le
12 août, comme le précisait une gravure de sa pierre tombale), le ténor Michael
Kelly était le fils de Thomas Kelly,
maître de cérémonie suppléant du château de Dublin et marchand de vin, et d’une
ancienne Miss McCabe. Il eut treize
frères et sœurs. Le mariage de ses parents avait été mouvementé : la jeune
fille, catholique de bonne famille, avait été enlevée par son soupirant. Les
parents finirent cependant par leur pardonner…
Si l’on en croit le ténor (qui nous a
laissé des mémoires très détaillées), son enfance se déroula dans un climat hospitalier
et rempli de musique : son père fut probablement aussi musicien
professionnel, comme en attestait des registres de compte désormais détruits
(voir Highfill, etc.) Le talent du petit garçon fut développé par une série de
professeurs, parmi lesquels on compte Michael Arne pour le pianoforte, et « Passerini,
Pereti, San Giorgi pour le chant » (Highfill), sans oublier Venanzio
Rauzzini, de passage à Dublin.
En mai 1777, Michael Kelly fit ses
débuts scéniques dans le rôle du comte de La
Buona Figliola (Piccini) au Fishamble Street Theatre. Son succès le fit
réengager au Crow Theatre dans le rôle-titre de Cymon (sous la direction du compositeur Michael Arne), puis Master
Lion dans Lionel and Clarissa, à son
propre bénéfice.
En 1779, suivant les conseils de
Rauzzini, le jeune ténor partit pour l’Italie. A Naples, il suivit l’enseignement
de Finaroli, puis, en été 1780, du grand castrat Aprile.
Il fut engagé au concert et à l’opéra
par toute l’Italie : il se produisit Livourne (où il rencontra Stephen
et Nancy
Storace ; rencontre dont il rend compte de manière flamboyante dans
ses mémoires, mais infirmée en partie par d’autres contemporains), Pise,
Florence, Bologne, Venise, Brescia, Trévise, Vérone, Parme l’entendirent, ainsi
que Graz, en octobre 1782.
Une offre d’engagement pour Drury Lane
lui parvint alors, mais il la déclina, suite à la désapprobation de son père.
Il faisait bien : à Venise, il fut invité par le Comte Durazzo (l’ambassadeur
de Joseph II) à rejoindre la troupe italienne montée par l’empereur à Vienne,
et y retrouva Nancy Storace, dont il fut l’un des deux témoins de mariage (en
1784).
A Vienne, il crée et/ou chante dans
des opéras de Mozart (il crée Basilio et Don Curzio dans Le Nozze di Figaro), de Salieri (La Scuola de’gelosi), de Martin y Soler (Una Cosa rara), Sarti (Fra i
due litiganti ; Le Gelosie Villane), Paisiello (Il Barbiere di Siviglia ; La Frascatana), Guglielmi (Le Vicende d’Amore), Storace (Gli sposi malcontenti ; Gli Equivoci),
Gluck (Iphigénie en Tauride ;
Alceste)..... et se produit dans divers concerts profanes et sacrés.
A Vienne, il fréquente Gluck et Haydn.
Outre le milieu artistique, il fraie également avec la plus haute société de
son temps, avec des bonheurs divers : si les bonnes fortunes amoureuses
semblent ne pas lui avoir fait défaut, ses dettes de jeu sont astronomiques…
Ses souvenirs de sa période viennoise,
bien que parfois confus, restent une source de première main sur la vie lyrique
viennoise et nous donnent des éléments précieux sur Mozart, dont il aurait été
l’ami. Mais Kelly est souvent prompt à se donner le premier rôle et à escamoter
certains éléments à son profit, aussi convient-il de se méfier de certaines de
ses assertions.
En février 1787, le ténor quitte
Vienne pour Londres, en compagnie des Storace, de Thomas Attwood (compositeur
élève de Mozart) et de l’amant de Nancy, Lord Barnard. Passant par Salzbourg
(où ils rencontrent Leopold Mozart), ils s’arrêtent également à Paris (où Kelly
profite abondamment des spectacles parisiens), le groupe (scindé en deux)
parvient à Londres.
C’est dans cette capitale qui lui
était jusqu’alors inconnue que Kelly va continuer sa carrière lyrique. Engagé
au théâtre de Drury Lane, il y fait ses débuts le 20 avril 1787 en Lionel dans A School for Fathers (remaniement de Lionel and Clarissa). Son
succès est immédiat. Kelly chantera dans cette compagnie durant 33 ans.
C’est à cette période qu’il rencontre
la ravissante soprano Anna
Maria Crouch, qui était la Clarissa de ses débuts londoniens. Devenue
son élève, elle troqua rapidement ce rôle pour celui de maîtresse. Mr Crouch
semble avoir toléré ce « ménage à trois » jusqu’à son départ avec sa
propre maîtresse, en 1791. Crouch et Kelly vécurent maritalement jusqu’à la
mort de cette dernière, en 1805, mais elle n’est jamais mentionnée comme sa
compagne de manière explicite, dans les Reminiscences
signées par son compagnon… Sans doute, un début de puritanisme, d’autocensure,
ainsi que la certitude que cette cohabitation était connue de tous expliquent
cette omission…
Portrait de Michael Kelly en Cymon
par Samuel De Wilde (Collections du Garrick Club)
et gravure tirée du portrait,
par William Satchwell
Leney (1795) (Collections BNF Gallica)
Engagé aux concerts commémoratifs haendéliens
à l’Abbaye de Westminster (ainsi que Nancy Storace), sa prestation y est
remarquée. Cette participation, ainsi que ses apparitions pour les oratorios,
marque également le début d’une longue carrière au concert à Londres.
En juin 1787, Kelly apprend le décès
de sa mère (c’est en arguant de sa maladie qu’il avait obtenu son congé de
Vienne…) et il part à Dublin avec les Crouch : ils y donnent concerts et
représentations d’opéra, suivis par une tournée irlandaise.
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Cette année 1787 est représentative de
sa carrière : en général, l’hiver est consacré à la scène londonienne,
avec des soirées opéras, d’oratorios et de concerts, tandis que l’été est
consacré par des engagements itinérants, dans les différentes salles de concert
et pour les festivals de province : Liverpool, Brighton, Oxford,
Birmingham, Manchester, Worchester, Dublin,…
En juin 1789, pour sa première
apparition au King’s Theatre, il est Almaviva, face à Nancy Storace en Rosina.
Mais le théâtre brûle peu après… et la troupe se délocalise au Théâtre du
Haymarket. Il rechantera le rôle en juin 1790 pour les Italiens de Londres.
En 1789, il crée le premier des opéras
que Stephen Storace composera pour Drury Lane : The
Haunted Tower. Son Lord William lui vaut, une fois encore, des
critiques très laudatives.
Le ténor, qui endosser les premiers
rôles, apparaîtra dans la plupart des opéras écrits par Stephen. L’un de ceux
où il aura le plus de succès, Lodoiska
(1794), est une pièce à sauvetage où son personnage, le comte Floreski, vient à
la rescousse de l’héroïne (Mrs Crouch) autant dans l’intrigue de cet opéra que
sur scène…
Dans les années 1790 (probablement en 1790,
1791 et 1792), Kelly se rend à plusieurs reprises à Paris : ses opinions
politiques l’y ont certainement conduit… Il en profite d’ailleurs pour
rapporter de nombreux ouvrages dramatiques, livrets et partitions, qui seront d’ailleurs
souvent adaptés à Drury Lane. Il faut noter que Kelly fréquente l’opposition :
ami de Sheridan, il fréquentera longtemps le prince de Galles et Charles Fox.
Après de nombreuses péripéties, lorsque
l’opéra italien retourne enfin au King’s Theatre, Kelly et Stephen Storace sont
conjointement managers de la troupe
pour la saison 1793-1794, ce qui ne l’empêche pas d’y chanter. Kelly restera manager de la troupe durant 31 années :
ce poste ne lui apportait pourtant pas de rémunération supplémentaire, hormis
pour ses bénéfices.
Dès 1805, il est peu à peu remplacé
dans ses anciens emplois par John
Braham, l’amant de Nancy Storace : la mort de Mrs Crouch le
déprima tant qu’il se résolut à abandonner la scène. Il fera d’ailleurs ses
adieux en tant que chanteur peu après sa vieille amie, le 17 juin 1808 dans le
rôle de Frederick dans No
Song No Supper de Storace.
Ses activités dans le domaine théâtral
furent multiples : en 1801, il obtint également une licence de manager
pour le Little Theatre in the Haymarket ; entre 1809 et 1811 il présenta
chaque année au mois de juin, une pièce avec une ouverture et de la musique qu’il
avait composée et sélectionnée. En août 1818, il dirigea une compagnie
italienne à Dublin avec Angelica Catalani. En 1811, il revint une dernière fois
à Dublin comme impresario, et en profita pour y faire ses adieux scéniques.
Personnage populaire, parvenu à une notoriété
tant pour son art scénique que dans la hiérarchie des concerts, Kelly partageait
cependant la critique : certains louaient la puissance de sa voix et l’étendue
de sa tessiture qui n’avait pas besoin de passer au falsetto ; mais d’autres
considéraient qu’il avait conservé une « vulgarité » anglaise dans
les manières, ce qui le disqualifiait sur la scène italienne. Son côté
supposément efféminé lui vaut aussi quelques critiques.
Si sa voix ne semble pas avoir été
remarquable et s’il ne fut jamais un bon acteur, Kelly avait suffisamment de
technique et d’intelligence pour s’insérer sans heurts dans le meilleur de la
tradition musicale anglaise. Il s’est en effet produit dans la plupart des
pièces et opéras populaires de son temps, continuant de créer abondamment.
Certains le surnommèrent même « le rossignol irlandais ».
Frontispice de Blue
Beard.
Kelly diversifia ses activités : compositeur (il était très fier de sa collaboration
avec Mozart sur une mélodie de salon), il se déclare auteur de plus de 60 titres,
musique de scène ou opéras, ainsi que de nombreux airs. Il se faisait néanmoins
aider pour l’orchestration, et n’écrivait souvent que quelques airs dans l’œuvre,
parfois parodiés. Doué d’une oreille musicale et d’un sens très sûr des
attentes de son public, ses œuvres furent souvent très populaires. William
Parke considéra même qu’il était un « compilateur judicieux »,
remarque qui n’est pas aussi dépréciative qu’elle en a l’air, puisque le
pasticcio anglais de la période était également jugé sur l’harmonie des
extraits musicaux sélectionnés et adaptés.
L’un des opéras phares de Kelly, Blue
Beard or Female curiosity (dans lequel il chantait Selim) resta au
répertoire pendant plus de 25 ans. Son dernier opéra fut The Lady and the Devil (1820). (On en trouvera d’ailleurs la liste
dans ses Reminiscences.)
Frontispice de la ballade The Wood Pecker,
avec signature autographe de Kelly
Outre ses activités artistiques, Kelly
se lança dans l’édition musicale :
en 1801, il lança sa maison d’édition, installée si près du King’s Theatre que
ses clients privilégiés pouvaient entrer directement dans le théâtre en passant
par sa boutique. Son établissement installé au n° 9, Pall Mall, était appelé le
Music Saloon… Kelly fit cependant
banqueroute en 1811, sa mauvaise gestion et ses multiples activités qui lui
laissaient peu de temps libre, finissant par faire péricliter son commerce.
Comme le ténor et compositeur s’était également lancé dans le négoce de vin,
cela avait poussé Richard Brinsley Sheridan à déclarer que ce dernier devrait
faire afficher sur son pas de porte : « Michael Kelly, compositeur de vins et importateur de musique ».
Il est vrai que certaines de ses mélodies semblent être fortement tributaires
de la production de ses contemporains !
Souffrant abominablement de la goutte
durant ses dernières années (il aurait été incapable de poser le pied à terre
durant plus de dix ans !), le ténor mourut à Margate le 9 octobre 1826 et
fut inhumé à St Paul, Covent Garden, le 17 Octobre. Ne laissant pas de
descendance, ses frères et sa nièce, Miss (Fanny) Kelly (1792-1882), une
actrice et chanteuse réputée, héritèrent apparemment de ses dettes.
Monument funéraire de Michael Kelly.
Les Reminiscences de Michael
Kelly, publiées en 1826 (Volume I et Volume II), ont
également été éditées par Roger Fiske en 1975. Elles ont en réalité été écrites
par le dramaturge Theodore Hook.
Un roman de Naomi Jacob lui a été consacré : The Irish Boy, a Romantic Biography (1955).
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