1801 – Mort "suspecte" de Cimarosa et création d' 'Artemisia' par Nancy Storace [AUDIO]
Autographe partiel d’Artemisia de Cimarosa
conservé à la bibliothèque du Cons. di Musica S. Pietro a
Majella, Naples.
Nancy Storace et son amant, le ténor John
Braham s’embarquèrent pour un Grand Tour en Europe entre 1797 et 1801.
Passant par la France, ils s’attardèrent davantage en Italie ; leurs
déplacements sont en effet ponctués de représentations d’opéra, et de diverses
prises de rôles. Parmi celles-ci, Artemisia et Araspe, personnages clés du
dernier opéra de Domenico Cimarosa, Artemisia.
Frontispice du livret.
Les sources du livret
Créé le 17 janvier 1801 (d’après une
annotation portée sur la partition autographe), cet opéra ne doit pas être
confondu avec Artemisia, regina di Caria,
créé à Naples en juin 1797. Le livret
en était cette fois signé « Cratisto Jamejo », pseudonyme du comte Giovanni
Battista Colloredo (12 août 1756-1813).
Au prix d’une impossibilité
chronologique, ces deux personnages historiques n’étant pas contemporains, ce
dernier combina le récit des malheurs et de la fidélité de la reine de Carie
Artémise, sœur et épouse de Mausole, et les mésaventures du roi Artaxerxés. A
la mort de Mausole en 353 av. J-C, Artémise II fit élever un tombeau superbe à
son époux, le Mausolée d’Halicarnasse,
qui comptait parmi les Sept Merveilles du monde durant l’Antiquité. D’autre
part, une tradition littéraire veut que Artaxerxés Ier de
Perse brièvement détrôné par Artaban, aurait parcouru la méditerranée sous l’identité
de Siface, en compagnie de son amie Théopompe.
Composition de l’opéra
Bien que cet opéra comporte trois
actes, seuls les deux premiers furent composés par Domenico Cimarosa, déjà bien
malade quand il accepta la commande.
Terriblement sanctionné pour sa
participation à la République parthénopéenne, il n’avait sans doute eu la vie
sauve que grâce à l’intercession de Lady Hamilton. Condamné à un exil à vie de
Naples, il avait sans doute accepté cette commande en sa qualité de Maestro del Conservatorio detto Ospedaletto
di Venezia.
Déjà bien malade et vraisemblablement
traumatisé par ces dernier mois difficiles, Cimarosa avait tout juste achevé ces
deux actes, quand il dut s’aliter, tout juste après le nouvel an 1801. Son état
s’aggrava rapidement, et il reçut l’extrême-onction le 11 janvier. Il mourut la
nuit suivante.
Une mort suspecte ?
De méchantes rumeurs firent immédiatement part
des circonstances suspectes de ce décès. On l’attribua à un empoisonnement fait
sur ordre de la reine Marie Caroline de Naples ! On murmura également qu’il
était décédé des suites des mauvais traitements reçus alors qu’il était
emprisonné à Naples, sur ordre du couple royal. Certains avancèrent même que le compositeur avait été étranglé alors qu’il
se trouvait à Padoue...
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Quelle qu'ait été la rumeur dominante, l’opinion publique rendit les Bourbons
responsables de cette mort. Et les rumeurs colportées furent telles que la Cour fut
obligée de démentir ces allégations, en diffusant une note officielle, qui fit
pourtant peu pour modifier la teneur des clabaudages :
Domenico Cimarosa, Maestro
di Cappella, est mort à Venise […] à la suite d’une tumeur qui est devenue une cirrhose,
puis cancéreuse. Je certifie en toute bonne foi la vérité de cela. [Etc]
Venise, le 5
avril 1801,
D. Giovanni
Piccioli
Reg. Dele. E medico onorario di
S. Santità di N. C. Pio VII
Obsèques de Cimarosa et première d’Artemisia
Les obsèques du compositeur eurent
lieu dans l’église Sant’Angelo. La musique fut dirigée par Ferdinando Bertoni.
Parmi les chanteurs, se trouvaient Giuseppe Naldi, Giuseppe Aprile et John
Braham. La cérémonie s’acheva par un Requiem
de Bertoja.
Pour ce qui est de l’opéra, les
informations diffèrent un peu : selon Nick Rossi et Talmage Fauntleroy, le
troisième acte a bien été composé par un auteur inconnu, ce qu’attestent les
copies de la partition qui circulèrent à l’époque, comme celle conservée à la Stanford
Library.
Mais certains contemporains attestent
que le rideau se serait baissé à la fin du second, à la demande du public. Cela
a-t-il été le cas pour toutes les représentations ? On racontera encore
dans les années 1820 que de nombreux compositeurs auraient tenté de mettre en
musique le livret restant, sans succès. Même John Braham confiera ses souvenirs
dans une lettre datée de 1844 sur ce sujet.
Le cardinal Ercole Consalvi, ami de Cimarosa, dira dans ses mémoires
que
Au commencement de mon
ministère, j’éprouvai deux chagrins très-vifs, sans parler de beaucoup d’autres.
L’un n’eut aucun rapport avec mon emploi : ce fut la mort de mon grand ami
(del mio amicissimo) Dominique
Cimarosa, le premier, à mon avis, des compositeurs pour l’inspiration et la
science, comme Raphaël est le premier des peintres. Il murut le 11 janvier
1801, à Venise, tandis qu’il y travaillait à sa seconde Artemisa (sic), si
célèbre et qu’il ne put même pas achever.
(Mémoires du Cardinal Consalvi, Volume 2, Plon, 1866. Traduit par
Jacques Crétineau-Joly.)
Synopsis de l’opéra
La reine Artemisia (Artémise II), veuve
de Mausole, a mis sa confiance en Teopompo (l’orateur et historien Théopompe, célèbre pour
avoir écrit des panégyriques du roi défunt), et en Siface, pour lequel elle
sent quelque sentiment. Mais ces faveurs déplaisent au prince Araspe, lequel
brigue le trône. La sœur d’Artemisia, Ada, est éprise de Siface qui la
dédaigne, puisqu’il est attiré par Artemisia.
Arrive à la cour l’ambassadeur de
Perse Carete, à la recherche d’Artaserse, son roi légitime. Il s’aperçoit que
ce dernier se trouve incognito à la cour d’Artemisia, sous le nom de Siface ;
ce qui lui permet d’annoncer à la reine de Carie que son monarque a été
réinstauré sur son trône et qu’il a pris place parmi ses prétendants. La reine
réitère son serment d’éternelle fidélité à Mausole, et répond qu’elle ne se
remariera pas. Les pressions de Carete n’y font rien. Artemisia, qui ignore que
Siface et Artaserse ne font qu’un, reste inébranlable, malgré les visions du
sac d’Halicarnasse suscitées par Carete.
Après quelques péripéties, au dernier
acte, la reine se laisse fléchir, mais alors qu’elle se tient devant le Mausolée,
elle est surprise par l’ombre de son mari, qui l’embrasse et disparait. La
reine est ensuite foudroyée et tombe morte.
Air « Entro quest’anima ».
Dans
cette scène, la reine réitère ses serments de fidélité à son époux, en se tenant dans un temple (le
Mausolée ?), devant un autel où se trouve une urne d’or où
reposent les cendres de Mausole. La reine est entourée de vestales , peu à leurs places dans ce contexte...
Le
livret imprimé comporte de très nombreuses didascalies, indiquées en notes et
en italique.
Traduction française :
En
cette âme
Tu
survis encore,
Lumière
adorable
De
ce cœur.
Par
toi, elle s’allume :
De
toi dépend
La
sacrée et fervente
Et
constante ardeur.
Pour aller plus loin :
Nick Rossi et
Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa:
His Life and His Operas. London, Greenwood Press, 1999.
Artemisia est l’objet des pages
256 et 257
de la biographie de Nancy Storace,
par Emmanuelle Pesqué.
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