2018 – Vente de la Scena con rondò des Nozze di Figaro de Mozart (Aristophil, juin 2018, Drouot)
(source: catalogue Aristophil)
Il n’aura
finalement pas trouvé preneur…
Le lot 1193 (« 4 pages oblong in-4 d’un bifeuillet, de 22,3
x 31 cm ») le tout début de l’ébauche de la grande scène de Susanna
des Nozze di Figaro, est reparti dans
son coffre-fort. Il avait été mis en vente le 20 juin 2018 à Drouot pour
400 000 à 500 000 euros, parmi les manuscrits musicaux catalogue « DE
JEAN-SÉBASTIEN BACH À PIERRE BOULEZ » (n° 7).
Si la suite
de ce manuscrit mozartien est actuellement possédé par la Karpeles Manuscript
Library de Santa Barbara, cet incipit ne manque pas non plus d’intérêt.
Il faut dire
que son histoire illustre la genèse du chef d’œuvre de Mozart, tout en étant
une preuve manifeste du difficile équilibre nécessaire entre les ego des
chanteurs créateurs, la dynamique de la politique interne du théâtre et… les
desiderata des auteurs.
Cette scène
seulement ébauchée par Mozart est le premier état du fameux « air des
marronniers », chanté par Susanna avant le finale de l’acte IV. Nancy
Storace incarnait la camériste de la comtesse Almaviva lors de la
première de l’opéra, le 1er mai 1786, et Mozart tailla le rôle sur
mesure pour elle, « comme un habit bien fait » (ainsi qu’il estimait
devoir écrire pour ses chanteurs). Autant qu’un rôle séduisant dans un chef
d’œuvre lyrique, Susanna est donc un portrait en creux de sa première
interprète, et porte en filigrane le souvenir des capacités vocales et
théâtrales de la prima buffa de la
troupe du Burgtheater.
Tout comme
de ses caprices…
Si, selon le
catalogue de vente, « Après avoir
comparé les deux versions, le musicologue Hermann
Abert (II, 356) conclut que Susanna, qui portait les vêtements de la
comtesse, devait également apparaître dans l’habit musical de cette dernière,
avant que Mozart ne rejette finalement cette idée et ne remplace cette première
version par l’air splendide "Deh vieni non tardar"... »,
cette opinion datée peut être très raisonnablement bousculée par l’hypothèse
solide et très séduisante du musicologue américain Dexter Edge (coauteur du fabuleux site Mozart: New
Documents, qui présente très régulièrement des sources bousculant nos
connaissances sur Mozart…) C’est qu’Hermann Abert écrivait avec les préjugés de
son temps, et que certains éléments contextuels ne semblaient pas aussi
importants…
(source: catalogue Aristophil)
« Giunse
il momento alfine che godrò... Non tardar amato bene » fut l’un des éléments qui provoqua un tour de
passe-passe des rondò dans l’opéra de
Mozart, entre celui de la comtesse et celui (finalement abandonné) de la
cantatrice star. Et cela, sans doute à cause de la « vanité » de
Nancy Storace, comme l’avance très justement Dexter Edge, en fin d’une analyse brillante… résumée dans la
biographie que j’ai consacrée à la cantatrice. Par contre, on ne sait toujours
pas comment Mozart arriva à convaincre la prima donna susceptible de ne pas
chanter ce rondò ébauché et si beau…
Loin d’être
inédit comme l’affirme France
Musique (« Selon l'expert [Thierry
Bodin] les quatre pages manuscrites sont inédites puisqu’elles montrent une
première version d’un air connu de l’opéra »), cet air a été publié dans
la NMA et on peut
même l’entendre dans une version orchestrée par Sir Charles Mackerras.
En voici le
texte, et la traduction :
Giunse il momento alfine che
godrò
Senz’affano in braccio all’ idol
moi.
Timide cure, uscite dal mio
petto,
A turbar non venite il mio
diletto.
Oh, come in questo istante
Tutto ad amor risponde !
L’aura che tra le fronde dolci
sospira,
Il cielo che del placido velo
dalla notte
Copre l’amato amante e i furti
miei,
E nel suo grato aurore,
A’ trasporti di gioia invita il
core.
Non tardar, amato bene,
Veni e vola al seno mio,
A finir le lunghe pene,
A dar tregua a’ miei sospir.
Giusto ciel ! perchè mai
tardi ?
È si lento il tuo desir ?
Crederò che tu non ardi
Se mi fai così languir.
Recitativo accompagnato : « Voici enfin le
moment où je vais jouir / Sans honte dans les bras de mon idole. / Soins
timides, sortez de mon sein, / Ne venez pas troubler mon bonheur. / Oh, comme
en cet instant / Tout répond à l’amour ! / La brise qui soupire à travers
les frondaisons, / Le ciel, qui du voile paisible de la nuit, / recouvre mon
amant adoré et mes larcins, / Et dans son heureuse vilenie / Invite le cœur à
des transports de joie. » Rondò : « Ne tarde plus, mon amour, /
Viens et vole sur mon sein, / Pour finir mon long tourment, / Pour soulager mes
soupirs. / Juste Ciel ! : Pourquoi tarde-t-il ? / Ton désir
est-il si patient ? / Je croirai que tu ne brûles pas /Si tu me fais ainsi
languir. »
La genèse de cet air est l’objet des pages 111 et 112
de la biographie de Nancy Storace,
par Emmanuelle Pesqué.
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