1794 – ‘The Glorious First of June’ vs ‘The Critic’ : batailles navales en pagaille

The Glorious First of June - 1794 - Nancy Storace


The Glorious First of June, une afterpiece (pièce courte donnée en seconde partie de soirée) composée en hâte pour rendre hommage à l’amiral Richard Howe qui venait de remporter une victoire navale au large de l’île d’Ouessant contre les Français, et à collecter des fonds pour les veuves et orphelins de ses marins, fut créée à Drury Lane le 2 juillet 1794.

« Suite » de No Song, No Supper, cet « opéra » naval reprenait les personnages de cette afterpiece très populaire en les insérant dans un contexte ouvertement patriotique. Nancy Storace y reprenait évidemment son personnage de Margaretta. La pièce s'achevait avec « Rule Britannia ».

Ce bénéfice eut un succès écrasant, témoin la recette recueillie, la plus importante du siècle au théâtre londonien.

Richard Brinsley Sheridan (1751-1816), le directeur du théâtre de Drury Lane et dramaturge, participa avec James Cobb et quelques autres à l’écriture du livret (non publié). Pensa-t-il, en l’élaborant, à la farce qu’il avait écrite en 1779, The Critic, qui parodiait les clichés dramatiques d’usage en les enfilant l’un derrière l’autre dans une fausse tragédie drolatique: elle comportait, elle aussi, une bataille navale superbement reconstituée en scène...

L’un des chroniqueurs de l’époque a laissé un témoignage de l’admiration devant le naturel et la fidélité de cette bataille navale, qui fit beaucoup pour le succès de The Glorious First of June :


Le plateau immense de Drury [Lane] a été transformé en mer, et l’on peut voir les deux flottes manœuvrer. Rien ne peut surpasser l’enchantement de cette perspective. Il ne s’agit pas de la bagatelle habituelle de vaisseaux en carton ; les navires sont grands, des modèles réduits parfaits des véritables navires qu’ils représentent, et fabriqués avec une telle beauté de détails qu’ils sont dignes d’entrer dans un cabinet de curiosité. Toutes les manœuvres de la bataille sont exécutées avec une adresse nautique ; les lignes sont formées, ils s’élancent les uns vers les autres par différentes bordées : on combat, la ligne de feu est extraordinaire ; les navires sont démâtés, abordés, pris, coulés, comme lors de la bataille réelle, et la vastitude de la mer permet une variété qui n’est pas facile à un esprit de concevoir comme possible lors d’une simple représentation scénique.


La bataille navale de The Critic de Sheridan


Cette description enthousiaste de 1794 fait irrésistiblement penser à une adaptation télévisée de The Critic de la BBC, réalisée par Don Taylor et diffusée dans le cadre de la série Play of the Month, le 23 août 1982.

Elle présente une époustouflante bataille navale sous forme de machinerie baroque sur un « Rule Britannia » assez hilarant dans sa réalisation scénique. Bien que réalisée sur une toute petite échelle par rapport à ce que les spectateurs londoniens purent voir (Drury Lane pouvait contenir à l’époque plus de 3 600 spectateurs !), elle donne une idée assez séduisante de la machinerie de l’époque et de sa puissance d’évocation.

Cet enregistrement télévisé n’a, hélas, toujours pas été commercialisé, et n’est trouvable en intégralité que sur YouTube, via un enregistrement VHS réalisé à l’époque.



  
avec
Martyn Hill – ténor
Choeur et orchestre The Academy of Antient Music,
dirigés par Christopher Hogwood.
Nicholas McGegan – assistant musical
et
Mr. Puff – Hywel Bennett
Mr. Sneer – Nigel Hawthorne
Mr. Dangle – Norman Rodway
Britannia – Vivian Pickles


The Critic de Sheridan : présentation rapide


Comédie créée le 30 octobre 1779 au théâtre londonien de Drury Lane, Le Critique, ou la Répétition d’une tragédie retrace la journée d’un critique amateur, le bourgeois Mr. Dangle, qui se prend pour un grand mécène et « patron » de l’art dramatique. On le trouve tout d’abord chez lui, assiégé par divers solliciteurs ; puis assistant, en compagnie d’un auteur et d’un autre critique à la répétition de la tragédie du premier, The Spanish Armada (L’Armada espagnole). Il n’est guère besoin de dire que cette œuvre, loin de susciter horreur et pitié, déclenche plutôt le rire, tant par son invraisemblance boursouflée que par les remarques ironiques de deux des spectateurs…

On considère que Richard Brinsley Sheridan est l’auteur de l’une des meilleures comédies, d’un des meilleurs opéras et d’une des meilleures farces du XVIIIe anglais, mais l’une de ces trois œuvres phares, The Critic, or A Tragedy rehearsed (Le Critique, ou la Répétition d’une tragédie) n’est pas si connue que cela du public français, en dépit de l’adaptation française de Michel Arnaud, radiodiffusée le 14 avril 1966 (disponible sur le site de l’INA). C’est navrant, car cette pièce qui brocarde le mauvais théâtre de son temps et la théâtromanie de certains, n’a pas perdu de son sel en dépit de certaines allusions spécifiques désormais obscures…

Quand The Critic fut représenté, Sheridan était déjà l’auteur de deux pièces déjà très réputées, The Rivals (1775) et The School for Scandal (1777).

Cette farce qui mêle le genre de la comédie de mœurs (comedy of manners) et la satire acerbe des dérives théâtrales est cependant paradoxale : directeur de théâtre (R. B. Sheridan était l’un des propriétaires principaux du théâtre de Drury Lane), l’auteur ne mit guère en pratique ses propres préceptes : en 1796, il mis au théâtre une pièce attribuée à Shakespeare, Vortigern and Rowena, en fait issue de la plume de William Henry Ireland, un faussaire pas même génial. La pièce, achetée très cher par Sheridan fut un four, puisque le grand tragédien John Philip Kemble ne se donna pas la peine de réellement jouer. Il ne croyait pas à l’authenticité du texte et a sans doute dissuadé sa sœur, la grande Sarah Siddons, d’y prendre part…

Sheridan monta également de nombreuses tragédies historiques à grand spectacle, n’hésitant pas à programmer des œuvres de plus en plus spectaculaires après la reconstruction en plus grand de son théâtre et la réouverture en 1794. Il fut également l’introducteur en Angleterre des pièces de Kotzebue et Lessing, tout en favorisant par ailleurs, des « grosses farces » ou des ballad opera sans prétentions, qui flattaient le goût de son public populaire. (Ann Selina « Nancy » Storace y brilla comme chanteuse et fut l’une des stars de sa troupe.)

The Critic : l’intrigue


La première partie de la pièce se déroule chez les Dangle. Mr. Dangle, bourgeois fou de théâtre, se prend pour une éminence grise dans ce milieu, au grand dégoût de son épouse, Mrs. Dangle, qui lui reproche d’en avoir tous les inconvénients (solliciteurs, courriers divers, manuscrits à lire) sans en avoir les profits ! Toutefois son époux considère qu’être à la tête d’une bande de critique lui vaut respect et considération. Les visiteurs ne tardent guère à se succéder : un autre critique, Mr. Sneer (M. Ricanement), qui demande à Dangle de recommander ses pièces de théâtre aux directeurs ; Sir Fretful Plagiary (Sir Agité Plagiaire), un auteur sans talent qui souhaite des critiques mais n’en accepte aucune ; des chanteurs italiens en quête de recommandation, Signor Pasticcio Ritornello et ses filles, qui font la démonstration de leurs talents et sont accompagnés d’un interprète français ; puis Puff (« faire mousser »), un auteur qui enseigne aux journalistes comment faire gonfler un article laudateur et qui donne un exemple de son art. Il a écrit une tragédie qui doit être répétée l’après-midi même. Sneer demande à accompagner Dangle à la répétition.

Les deux derniers actes se déroulent au théâtre, durant la répétition. Puff a écrit une tragédie versifiée sur l’Armada espagnole du temps d’Elizabeth I, en 1588. Sur ce fond martial, le récit est celui des amours malheureuses de Tilburina, fille du commandant du fort de Tilbury, sur la Tamise (où la reine rassembla ses troupes) et de Don Ferolo Whiskerandos, le fils de l’amiral espagnol. La tragédie est assez courte, puisque les acteurs en ont coupés d’office les parties redondantes ou superflues, mais l’aperçu en est assez important pour accumuler invraisemblances, détournement de clichés et pastiche désastreux de tragédie shakespearienne (on a même droit à une scène de folie « ophélie-sque », dupliquée par la servante de Tilburina, puisque cette dernière imite forcément sa maîtresse….)

Durant toute la répétition, Sneer et Dangle brocardent et commentent le déroulement de l’action, tandis que Puff justifie son art de dramaturge… en accentuant les faiblesses  de son texte par des raisonnements abscons.

Le finale consiste en une représentation de la bataille navale entre les Anglais et les Espagnols, sur musique de Thomas Arne (extraite du « masque » Alfred) et de Georg-Friedrich Haendel.

  
The Critic - Richard Brinsley Sheridan - translated by Amédée Pichot 1835
Le Critique,
traduction d’Amédée Pichot (1835)
Source : BnF – Gallica.



The Glorious First of June est l’objet des pages 221 et 222
de la biographie de Nancy Storace,
par Emmanuelle Pesqué.

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